Billet paru sur le point.fr "Nous entrepreneurs vilipendés" à méditer!
Le créateur de l'agence de marketing digital 24h00.fr est agacé. Ou plutôt déçu. Son billet intitulé "Ne dites pas à ma mère que j'étais un entrepreneur de gauche, elle croit que je suis devenu un salaud de riche" a suscité, au coeur de l'été, énormément de réactions des internautes. Mais aucune de la classe politique. C'est pourtant un cri d'alarme qu'il signait sur le site du Huffington Post, et que nous reproduisons ici en fin d'interview. Explications.
Le Point.fr : Qu'est-ce qui vous a donné envie de vous exprimer ?
Patrick Robin : Je sens depuis plusieurs années la montée d'un malaise. Et par ailleurs, jamais autant de porteurs de projet ne m'ont confié : "Mon entreprise, je vais la créer, mais surtout pas en France." C'est un immense gâchis pour ces créateurs et pour notre pays dans son ensemble. Cela me fait de la peine. Et m'a poussé à écrire cette tribune sous forme d'anaphore, la figure de style utilisée par François Hollande lors de la campagne présidentielle sur le modèle "Moi, président de la République". Et comme l'ex-candidat, j'aurais pu continuer à dérouler mes arguments encore longtemps...
Quelles réactions ont suivi la publication de votre prise de position ?
Un buzz auquel je ne m'attendais pas sur Twitter. Et une foule de messages de type "merci d'avoir mis des mots sur un malaise que nous ressentions". Par contre, aucun dirigeant politique n'a réagi à mon coup de gueule, ce que je trouve dommage. Les responsables politiques, de droite ou de gauche, sont très loin d'avoir la moindre idée de ce qu'est le quotidien d'un entrepreneur : plus de six jours travaillés par semaine, un pari sur l'avenir, et, en cas d'échec, aucune indemnité, alors même que nous cotisons et créons des emplois. Nous ne sommes pas des patrons voyous !
Que reprochez-vous à nos responsables ?
Essentiellement de faire l'amalgame entre quelques abus de dirigeants qui n'ont pas créé leur entreprise et le quotidien d'entrepreneurs qui risquent toutes leurs économies et leur réputation en développant un projet. Il y a quelques jours, Arnaud Montebourg a expliqué que "les entrepreneurs" devaient agir "en capitaines d'industrie plutôt qu'en rentiers". Cette déclaration est le parfait exemple de la stigmatisation et de l'amalgame qui est fait entre entrepreneur et "richesse", alors que des milliers d'entrepreneurs gagnent à peine plus que le smic. La France a un problème avec la réussite et l'argent, et on n'y encourage pas assez la prise de risque. Quand vous regardez la liste des personnalités préférées dans l'Hexagone, vous trouvez Yannick Noah ou Mimie Mathy, qui sont des personnes que je respecte beaucoup, mais aux États-Unis, c'est Steve Jobs qui est porté au nues. Or créer de la richesse n'est pas sale surtout quand cela permet de la redistribuer ensuite.
Que voulez-vous dire par là ?
Investir dans de jeunes entreprises devrait être facilité, et non pénalisé. Comme je l'ai écrit pour ceux qui s'imaginent que l'on place de l'argent dans une start-up motivé uniquement par l'appât du gain, "la rentabilité moyenne de ce type d'investissement est d'environ 2 % l'an, avantages fiscaux inclus". Or, la prochaine loi de finances pourrait taxer davantage encore ces investissements. Résultat, en France, il sera bientôt moralement plus acceptable, et plus intéressant, d'investir dans une oeuvre d'art coûteuse et de la cacher dans un coffre que d'investir dans une start-up. C'est tout sauf faire un pari sur l'avenir.
La tribune de Patrick Robin (*) : "Ne dites pas à ma mère que j'étais un entrepreneur de gauche, elle croit que je suis devenu un salaud de riche"
Moi, entrepreneur, j'ai mis 2 ans à oser me verser mon premier salaire.
Moi, entrepreneur, j'ai épuisé mes maigres économies pour investir dans mon premier projet.
Moi, entrepreneur, durant plusieurs années j'étais le moins bien payé de mon entreprise.
Moi, entrepreneur, il m'a fallu attendre 8 ans avant de prendre mes premières vacances.
Moi, entrepreneur, je travaille 6 jours sur 7 et ne parlons pas des horaires.
Moi, entrepreneur, j'ai sacrifié des amis et des amours.
Moi, entrepreneur, si je dépose le bilan, je suis marqué au fer rouge.
Moi, entrepreneur, si j'échoue je n'aurai pas le droit au chômage.
Moi, entrepreneur, après un dîner je retourne souvent travailler.
Moi, entrepreneur, je me suis souvent demandé comment j'allais faire mes échéances.
Moi, entrepreneur, je ne passe pas toujours de très bonnes nuits, ni de très bonnes journées d'ailleurs.
Moi, entrepreneur, en 30 ans j'ai créé une quinzaine d'entreprises et quelque 300 emplois sans doute.
Moi, entrepreneur, je n'ai jamais considéré l'argent comme un moteur, et quand il y en a je l'apprécie parce qu'il me permet d'entreprendre encore et encore.
Moi, entrepreneur, je suis souvent reparti à zéro, animé uniquement par la foi, l'enthousiasme et le goût de l'aventure.
Moi, entrepreneur, j'ai pris chaque fois tellement de plaisir à créer, construire, partager.
Moi, entrepreneur, j'ai fait des rencontres extraordinaires
Moi, entrepreneur, je crois avoir créé de la valeur pour mon pays et j'en suis assez fier.
Moi, entrepreneur, sans doute coupable d'avoir "réussi", aux yeux des autres tout du moins, je ne crois pas mériter d'être la cible de qui que ce soit comme si je devais avoir honte aujourd'hui d'avoir gagné de l'argent.
Moi, entrepreneur, je ne crois pas devoir être catalogué de 'riche" comme s'il s'agissait d'une insulte simplement parce que j'ai la chance d'avoir cédé certaines de mes entreprises à des montants qui ont été à la hauteur des risques et des renoncements qui leur ont permis de se développer.
Moi, entrepreneur, après avoir vendu ma première société j'ai tout réinvesti dans la suivante. Mais surtout je suis resté en France et j'étais même fier de payer mes impôts dans mon pays.
Moi, entrepreneur, depuis 15 ans j'ai investi une partie de cet argent pour aider d'autres jeunes entrepreneurs - pour ceux qui s'imaginent que l'on ne fait cela que motivé par l'appât du gain, la rentabilité moyenne de ce type d'investissement est d'environ 2% l'an avantages fiscaux inclus. (Mais les projets de la prochaine loi de finances pourraient bien nous décourager à tout jamais de continuer à prendre ce genre de risques imbéciles.)
Moi, entrepreneur, je me sens persécuté, dénigré, mais aussi énervé, révolté et pour la première fois en 30 ans, découragé, démotivé... À quoi bon réussir, c'est tellement mal vu ces derniers temps.
PS : Nous aurions été des milliers d'entrepreneurs à pouvoir écrire ces quelques lignes. Un de mes amis, célèbre et talentueux entrepreneur lui, en réponse à la question d'un journaliste qui lui demandait s'il était de gauche ou de droite, eut cette réponse juste et pleine d'ironie :
"Quand on a ma fortune et qu'on reste en France, c'est déjà être un peu de gauche, non ?"
(* lien vers la parution originale du 30 juillet)